SEMAINE 20

À Lviv, les uniates tentent la synthèse des frères ennemis chrétiens.






Au départ d'Ushgorod, la ville-frontière la plus occidentale d'Ukraine, une journée de bus est nécessaire pour rallier Lviv, 250 kilomètres plus au nord. Gare au mal de cœur : virage après virage, c'est toute la Transcarpatie qu'il faut lentement traverser avant de descendre dans la plaine de Galicie, au cœur de laquelle se situe Lviv.

" Vous êtes ici dans le berceau du nationalisme ukrainien " entend-on dire à Lviv, magnifique cité de 800 000 habitants miraculeusement épargnée par les combats qui se sont déroulés dans la région lors des deux guerres mondiales. Au cours du XXe siècle, elle fut tour à tour austro-hongroise, polonaise, soviétique, allemande, soviétique encore, puis ukrainienne depuis 1991. Lviv - autrefois Lemberg en allemand, Lwów en polonais et Lvov en russe - est emblématique de l'histoire tragique des confins qui s'étendent de la mer Baltique à la mer Noire.

Située à 70 kilomètres de la Pologne, Lviv compte dans ses murs la plupart des 200 000 Polonais d'Ukraine. Mais plus encore qu'à la charnière des peuples polonais et ukrainien, la ville se situe sur une faille religieuse : ici s'entrechoquent les mondes catholique et orthodoxe qui prennent en tenaille une troisième communauté de chrétiens, les gréco-catholiques. Depuis des siècles, ces trois Églises se livrent à ce que certains ont pu appeler une lutte pour les âmes.

Lviv est le siège de l'Église gréco-catholique, autrement appelée " uniate " en dépit de la connotation péjorative que renferme ce terme dans l'esprit des Ukrainiens. Répartis principalement en Ukraine de l'ouest mais aussi en Roumanie, en Pologne, en Slovaquie et en Hongrie, les six millions de gréco-catholiques sont issus d'une tentative chaotique d'union entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe. Elle remonte à la fin du XVIe siècle. À l'époque, le Vatican cherche à reconquérir les terres de l'Est européen aux mains des orthodoxes depuis le grand schisme de 1054. Sous la pression, les orthodoxes se divisent : une partie d'entre eux veut de se rallier à Rome pour éviter la soumission au patriarcat de Moscou. En 1596, un compromis est trouvé lors du synode de Brest-Litovsk. Les uniates, chrétiens de rite orthodoxe, obtiennent leur ralliement au Vatican sans rien changer à leur liturgie ni à leurs traditions. C'est l'acte de naissance de l'Église gréco-catholique qui, aujourd'hui encore, reste aux yeux des orthodoxes le symbole du prosélytisme de Rome en Europe orientale.

En 1946, alors que l'URSS vient d'annexer la Transcarpatie et la Galicie, Staline interdit l'Église uniate, accusée de collaboration avec les nazis et le Vatican. 1400 prêtres, des centaines de religieux, des milliers de laïcs sont arrêtés, déportés ou assassinés. Quand les lieux de cultes gréco-catholiques ne sont pas détruits, ils sont attribués d'office à l'Église orthodoxe. Pendant 45 ans, les uniates résisteront clandestinement à la répression en célébrant leur culte cachés au fond des forêts. Il faut attendre la perestroïka et l'indépendance de l'Ukraine, en 1991, pour voir cette " Église de la forêt " - comme l'ont surnommée les uniates eux-mêmes - sortir de l'ombre. La restitution des églises ne s'est pas faite sans règlements de comptes entre gréco-catholiques et orthodoxes, allant même parfois jusqu'à l'émeute. Une guerre des chapelles qui a duré quatre ans avant que la situation ne se normalise.

Il y a un an, au grand dam du patriarche orthodoxe de Kiev, Jean-Paul II est venu à Lviv prêcher la réconciliation des chrétiens d'Ukraine. Pour l'occasion, la cathédrale Saint-Georges, rendue aux gréco-catholiques en 1990, a été entièrement rénovée et des centaines de milliers de personnes des trois communautés sont venues assister aux célébrations. Le risque était grand de raviver des tensions à peine assoupies mais nombreux sont les Lviviens à estimer que la cohabitation des cultes est sortie grandie de la visite du pape.

Du haut de la colline qui s'élève en son centre, on peut s'amuser à compter les clochers des soixante églises de Lviv, un record pour une ville de cette taille. Au-delà s'étend la Galicie, à l'est vers l'Ukraine orthodoxe, à l'ouest vers la Pologne catholique. Au milieu, Lviv l'uniate tente à nouveau la synthèse de ces deux Europe spirituelles.

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